Harmonie
Bertrand Dezoteux convoque dans ses films d’animation, empreints de science-fiction, une multitude de savoirs allant de l’anthropologie, la littérature, la bande dessinée en passant par l’art, la biologie, la science, l’informatique et autres domaines de connaissances. Loin des canons esthétiques de l’industrie du divertissement cinématographique et du jeu vidéo, ses films, à mi-chemin entre bricolage numérique et maladresse volontaire, mettent en exergue les conditions de création et d’apparition des images. Leur production artisanale et leur économie réduite évoquent une origine, une époque archaïque de l’animation qui n’est pas sans rappeler la tentation d’Andy Warhol de produire à l’intérieur de la Factory un cinéma qui avait pour modèle Hollywood. Ses objets visuels à la fois complexes et cocasses trouvent leur origine dans l’envie de créer des mondes. Il produit ainsi par assemblages, associations d’idées et montages, des récits décalés et anachroniques à l’imaginaire débridé et à l’humour singulier.
« Harmonie », dernier opus de Bertrand Dezoteux, relate les premiers pas de l’homme sur l’exoplanète éponyme. Elle tient son nom de ses paysages aux géologies arc-en-ciel, mais aussi d’une bizarrerie génétique qui permet à ses habitants, aux voix enchanteresses, de se reproduire entre eux sans distinction d’espèces. Fraîchement débarqué, Jésus Perez, dégaine de hippy à la cool attitude et aux traits d’un christ byzantin, déambule sur Harmonie. Il rencontre des autochtones, une foule d’hybrides monstrueux issue d’un bestiaire médiéval, écho lointain des gravures de Fortunio Liceti, savant italien du XVIIe siècle. Il les interroge sur leur organisation sociale, tente de faire connaissance. Ils ne répondent que par « oui » ou par « non », ce qui limite les échanges. Pour pacifier les relations, il leur apporte des présents : Doodle, 4G, Kir Royal, bisphénol A, etc. comme autant d’indices de la civilisation terrienne qui s’exporte. « Harmonie » est le premier épisode d’un planet opera, sous-genre de la science-fiction qui se concentre sur le récit de l’exploration d’une planète, à l’exemple de la série de bande-dessinée de LEO « Les Mondes d’Aldébaran ».
Parallèlement deux autres films sont diffusés, « Super‑règne », projeté pendant l’été 2017 au Palais de Tokyo, et « Animal Glisse » inédit en Île-de-France. « Super-règne » décrit le parcours éreintant d’un livreur Deliveroo à travers une planète peuplée de personnages inspirés de l’univers surréaliste du sculpteur autrichien Bruno Gironcoli. Il apporte son repas à un personnage impotent et obèse au bord de l’hypoglycémie. Sous forme de fable ubuesque, ce récit prend sa source dans « L’univers bactériel » de Lynn Margulis et Dorion Sagan, ouvrage de vulgarisation scientifique qui décrit les interactions vitales et la coopération qui existent entre les plus infimes éléments du vivant.
« Animal Glisse » est un film de surf anti-héroïque. Bertrand Dezoteux y dépeint les us et coutumes d’une communauté soumise aux aléas d’un milieu mouvant. Il met en scène l’activité ingrate des riders pour passer la barre, gagner le line-up, prendre position, scruter l’horizon, attendre, se repositionner et ramer dans l’espoir de quelques secondes d’extase. Les tentatives d’un débutant sont réduites à néant par une mauvaise perception des déplacements de la houle ou par l’expérience de surfers plus prompts à saisir la vague. Un bodyboarder aux battements de palmes frénétiques clôt le film dans un barrel numérique, multicolore, hypnotique et cinétique.
L’exposition « Harmonie » permet pour une première fois de visionner un ensemble de films de Bertrand Dezoteux. Il invente des mondes qui agissent par transposition d’organisations sociales comme autant de miroirs des interactions entre les différents corps qui les composent.
Lionel Balouin
Tarifs :
Entrée libre