Le Nil est plus long et plus romantique que l'Amazone

Un crocodile-témoin, des petits Scouts kaki, des actualités brûlantes, des femmes guerrières. Pour sa première exposition personnelle à la Galerie Dix9, l’artiste sud-africaine Claudia Tennant livre une série de peintures détonnantes aux accents sombres et chatoyants. Aussi solaires qu’énigmatiques, aussi macabres que drolatiques, ces grands formats nous transportent dans un univers ambigu et intérieur, hanté par une histoire mondiale aux ramifications complexes, aux scénari terribles, dont le coeur serait l’Afrique.

Une histoire au long cours jalonnée de royaumes qui se font et se défont, d’expéditions, de territorialisations et de trophées, face à laquelle sa prouesse à elle consiste à louvoyer dans la matière mémorielle, à serpenter parmi les légendes et les hauts faits, pour se constituer au fil du temps, un codex, un autre livre d’histoire, un manuel de survie presque. Ainsi elle donne corps et vie dans Mino (Nos mères) et Nawi, aux femmes guerrières qui constituaient l’unité d’élite du roi Gezo et de l’empire du Dahomey au XIXème siècle. Ailleurs, elle restitue à la mouche tsétsé toute l’aura et la monumentalité qui lui sont dues. Elle dessine un câble virevoltant censé relier les continents...Les figures en pied font référence aux héros d’hier et d’avant-hier, certains occultés, d’autres surestimés, mais toutes portent des masques et ressemblent à des marionnettes. Les noms et les phrases résonnent familièrement et leurs croisements taquinent les esprits. Dans ce théâtre, on se demande qui parle et d’où.

Si le travail de Claudia Tennant est très documenté, conscientisé et critique, il frappe par son sens de l’humour et sa vitalité. Elle se méfie des images que l’on a soit-disant en partage, et sait que vouloir trop bien peindre l’Afrique constitue une entreprise risquée. Pour mettre à distance le cortège de sources savantes et impres - sionnistes dont elle hérite, elle le caviarde à son tour. Elle trouve dans ce qu’elle nomme ’les formes simplifiées’ une immédiateté du geste et une liberté de ton qui renouent avec l’esprit du bad painting et de l’expression libre. Il est ici question d’inachevé même dans le trop plein de la peinture, de voix et d’images enfouies qu’il faut faire remonter à la surface et oser se figurer.