Lucille Uhlrich, Ragged and dirty

Exposition
Arts plastiques
Florence Loewy Paris 03
Deux oeuvres murales : une peinture bleue myosotis avec une sculpture de deux grands sabots jaunes en céramique et une peinture noire avec une fleur en céramique et de la fumée réalisée avec de la cendre

Western myosotis ou les énigmes de Lucille Uhlrich
Géraldine Gourbe

 

« Vos vêtements sont en loques et sales
Alors, faites-le déguenillé et sale
Et les prophéties sont déguenillées et sales »
Blues « En lambeaux et sales » par William Brown, 1942

Il y aurait des notes échappées d’une guitare country qui ponctueraient chaque phrase lancée par une voix lasse d’un chanteur de blues. Le duo composé d’une guitare au son pincé et d’une plainte mélancolique, nous venant des provinces du sud des États-Unis, plane au-dessus de ce qui pourrait nous apparaître comme une suite de rébus. Une sorte d’énigmes élaborées au fur et à mesure des heures passées dans l’atelier à partir de matières premières récoltées dans les Vosges et de pigments radicalement colorés. A l’image des fresques pariétales, toutes les hypothèses sur l’origine de ces œuvres convergent : l’empreinte de la main derrière chaque objet, le trait tremblé du dessin et les préparatifs à partir des matériaux trouvés dans les environs qui laissent le temps de concevoir, loin du spontanéisme ou de l’apparente naïveté longtemps projetée sur cette partie de notre histoire de l’art.

Une particularité cependant échappe à la référence, au jeu bien aimé des affinités, le contraste entre cet aplat noir de fumée, bleu du myosotis, violet gris et un objet accroché, suspendu pesant de toute sa gravité : une fleur cramée qui réapparaît d’outre-tombe exagérément grandie ou des sabots, jaune fluo à la forme lourde, revenus de l’autre côté du miroir d’Alice aux pays des merveilles. Un sentiment que quelque chose déraille et qui ne pourrait être contenu par ce geste convenu dans les expositions de céramique où l’on recourt, le plus souvent, au socle ou à la table de maquettes. Lucille Uhlrich s’amuse à tordre nos attentes dans la mesure où ses formes palpées, malaxées, cuites redeviennent images, faisant fi ou presque de leur dimension sculpturale. A moins que ce soit l’inverse ?

Ou bien que ce soit quelque chose de l’ordre des restes d’une ancienne admiration, celle que l’artiste a eue pour le californien Guy de Cointet lorsqu’elle était étudiante aux beaux-arts de Lyon. Les formes à la fois en relief et, posées à plat sur une surface colorée éclatante, relèvent aussi de scènes de théâtre comme lorsque les comédiennes des pièces de Guy de Cointet se retirent et qu’il ne reste que le display. Un environnement vide de sens logique, de bavardages (drôles, surréalistes ou décalés) mais rempli d’encodages, d’abstraction d’un texte perdu et d’écriture miroir. Quelque chose de l’ordre de la conversation s’engagerait et serait rendu, tout de suite, artificiel dans sa capacité à articuler un, le message. A la fois muet et bavard.

Si une société magique est à l’œuvre derrière ce monde suspendu, c’est peut-être que le rapport au temps y est beaucoup plus secret que celui que nous expérimentons aujourd’hui. Il y a le temps de la récolte de matériaux, l’impact du climat, des saisons qui jouent sur leur matière, de la cuisson du four - qui est petit et nécessite la découpe de la pièce en plusieurs parties. Puis ce que Lucille Uhrich appelle le moment de la réparation des pièces où elle rassemble les différentes parties d’une œuvre, les repeint ou redessine dessus, ainsi que tout ce dispositif de mise en tension de la céramique, retenue par un crochet qui peut engager toute sa survivance.

L’impact aussi d’un Chronos social sur nos corps comme le temps qui passe sur les gestes et le labor des grands-parents du Lucille qui travaillaient la terre du potager (où elle vit et travaille aujourd’hui) et s’ancraient ainsi toujours un peu plus dans un paysage : leurs sabots dans leur jardin incarnent, encore aujourd’hui, des vigies symboliques. Les paysans qui fanent autour de la ferme-atelier de l’artiste et qui la fournissent en foin ou encore le temps raccourci et fragmentée de l’ultra-capitalisme qui amenuise nos capacités de troc et fragilise les communautés qui en vivent pleinement. Un petit assemblage, Les larmes du gitan, très californien encapsule la violence infligée à certain.es, comme la sédentarisation forcée.

Cette réalité franche et rude, sorte de western social se déroulant dans les montagnes des Vosges, opère et revêt ici un aspect volontairement non lissé, non rectiligne, grossi et grossier. Il y aurait en creux, tapis dans l’envers de la veste du bleu de travail, un réalisme social qui se rirait des conventions de la description balzacienne, de son souci d’être au plus près afin de mieux incarner pour… renouer, au contraire, avec un witz, un trait d’esprit rageur, redoublant certes un un-heimlich, une étrange inquiétude mais davantage déguenillée et sale.

Artistes

Partenaires

Exposition produite avec le soutien de la Région Grand-Est  /
Exhibition produced with the support of Région Grand-Est

Horaires

Mardi - Samedi, 14h - 19h

Adresse

Florence Loewy 9-11 rue de Thorigny 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 27 avril 2024