SetP STANIKAS

Exposition personnelle - Sobering Galerie
Exposition
Arts plastiques
sobering Paris 03

Esthétique de la rupture : Du totalitarisme communiste au monde libéralisé

 

Formés à l’Académie des Beaux-Arts de Vilnius, en Lituanie soviétique, SetP STANIKAS ont reçu un enseignement majoritairement orienté vers le dessin et la sculpture traditionnelle.

De ces pratiques artistiques largement employées au XIXème siècle, consacrées à un art de propagande, le couple d’artistes a extrait une œuvre hybride, caractérisée par un éclatement de la forme et dont résultent des installations unifiant sculpture, dessin, vidéo et photographie.

Le langage esthétique des Stanikas s’est structuré corrélativement au mouvement d’indépendance de la Lituanie et à la rupture engendrée par la chute du mur de Berlin. Parallèlement aux mutations politiques, leurs recherches formelles ont opéré une mue stylistique : leurs questionnements quant au conformisme académique ont été densifiés par la gestation de nouveaux paradigmes.  

Leur œuvre évoque l’influence du joug soviétique, répressif, et son corollaire artistique, le réalisme socialiste, tout en manifestant la volonté farouche de s’en émanciper par une brisure esthétique. Le grand-père de Paulius, également artiste, s’inscrivit dans le mouvement du réalisme socialiste, en réalisant des sculptures de Lénine.

Les tropismes des Stanikas oscillent entre « le totalitarisme communiste dans lequel ils ont grandi […] [et] l’hyper capitalisme du monde libéralisé »1 : ces bouleversements socio-culturels ont nourri l’aspiration à une nouvelle vision du monde.

 

Penser l’Histoire à travers le prisme de la microhistoire 

 

Puisant dans une iconographie teintée de l’idéologie communiste, agrémentée d’images personnelles, les deux artistes décloisonnent la séparation théorique entre Histoire collective et fragments d’intimité. L’association de ces deux types de représentations visuelles se libère de l’immédiateté du présent permanent2 et convoque un passé public, un corps social, à travers un spectre métahistorique.

L’Histoire se lit dans les transformations identitaires et subjectives, caractéristiques de la condition humaine. Ainsi, la micro-histoire3 privilégie la réduction de l’échelle historiographique et délaisse l’étude des masses pour s’intéresser spécifiquement aux individus.  

SetP STANIKAS livrent dans leurs créations des tranches de vie et des mises en scène intimes, en incluant dans ce dispositif leur famille : leur fille, leurs parents, leurs grands-parents… La famille, cellule élémentaire à laquelle chaque individu se rattache, constitue une communauté originelle. Le couple d’artistes s’emploie d’ailleurs à sonder cette notion à la lumière de l’archétype soviétique. « La question de la communauté, fût-elle politiquement limitée à l’Europe, persiste, avec en son centre la question des relations homme-femme. »4

L’analyse structurelle quant au modèle familial n’attenue pas la place de l’individu, à la fois sujet et corps, pensé comme une identité sociale, où coïncide deux temporalités : un espace historique et des mondes intérieurs. « Ce qui est empirique en nous, comme notre corps et notre être individué, se réalise dans l’espace et dans le temps. »5

C’est justement la dichotomie âme-corps, répandue par la tradition chrétienne dans la culture occidentale, que les Stanikas tentent de dépasser.

 

La transgression ou le corps interdit : pulsions et mortification du corps subjectif

 

La dualité corps-âme relève de la dialectique des états du corps : entité souffrante, vieillissante puis vouée à la disparition.  

Cependant, « une opposition [s’est] […] développée au XIXème siècle, entre l’épanouissement de la vie et l’exaltation de la mort, entre la satisfaction des pulsions propre à l’hédonisme antique et la mortification du corps et du désir inhérente au christianisme. Celle-là serait le symbole du Vouloir-vivre, celle-ci sa négation sous la forme de l’ascèse. »6 C’est d’ailleurs cette mortification du corps et de la sexualité que Nietzsche exècre car elle ternit le commencement de l’existence humaine.7 Ce dernier dénonce l’hypocrisie du christianisme qui a enfanté un Eros vicieux.8  

Le passage du totalitarisme communiste au capitalisme contemporain a influencé la perception du corps, qui est devenu un corps double en proie aux conceptions de corps non visible et de corps intégralement visible9. Toute la violence des corps représentés par les Stanikas est contenue dans leur nudité paradoxale où se côtoient vigueur et vulnérabilité.

Le communisme soviétique a rejeté l’unicité du corps en interdisant de rendre visible son intimité, facteur de différenciation. Néanmoins, « l’invention d’une sensualité, la fabrication d’une volupté, la confection d’un plaisir, la création d’une joie ne relèvent d’aucun projet communautaire ou global, collectif ou général, religieux ou politique, mais d’un vouloir propre. »10 En instrumentalisant le corps, le régime soviétique a banni la subversion du désir et les mystères de la sexualité, manifestation criante d’une individualité indomptable.

A contrario, le monde libéralisé de l’ère capitaliste impose un corps visible. « Plus on l’analyse, ce corps moderne, plus on l’exhibe, moins il existe. Annulé, à proportion inverse de son exposition. »11  Dans leur représentation du corps, SetP STANIKAS font converger ces deux tendances : la chair exulte autant qu’elle frémit, au crépuscule, toute consciente de sa finitude.12

Puisque « l’homme est un être biologique en même temps qu’un individu social »13, le corps se comprend à la lumière de son unicité et de la mémoire sociale et culturelle qu’il véhicule.

Dans cette quête du corps, les Stanikas ont capté l’essence de l’existence humaine, « ce mouvement de va-et-vient de l’ordure à l’idéal et de l’idéal à l’ordure »14, en réussissant à faire coexister la boue et les ténèbres avec la pureté de la lumière.15

 

 

1. Isabelle Hersant, « Les “Mille sorcières“ des Stanikas et le sexe du “Communiste“ : quand le noir et blanc devient la couleur de l’irreprésentable », La Lettre «R », No. 5 : « Tabous et Interdits », p. 180-189, 2007

2. Eric Hobsbawn, « L’Âge des extrêmes : le court XXème siècle 1941-1991 », co-édition le Monde diplomatique - Editions Complexe, 1999

3. « La “micro-histoire“, traduction de la microstoria italienne, est devenue en France un courant historiographique majeur, à partir de la fin des années 1980. […] Au cœur de la micro-histoire repose le principe de la réduction d'objet : il consiste à appréhender un phénomène historique d'ampleur à travers un filtre, un terrain contrôlable, de taille limitée mais doté d'une grande valeur heuristique. »

Paul-André Rosental, « Micro-Histoire », Encyclopædia Universalis [en ligne], article consulté le 7 octobre 2015.

4. Pascal Convert, « S&P Stanikas. Famille, Sexe, Politique », Art Press, No. 321, mars 2006.

5. Didier Raymond, « De l’impossibilité de vivre et de mourir », Postface de l’ouvrage « Du néant de la vie » d’Arthur Schopenhauer, Mille et Une Nuits, No 451, édition de novembre 2006

6. Idem

7. Friedrich Wilhelm Nietzsche, Le Crépuscule des idoles ou Comment on philosophe avec un marteau, paragraphe 4, « Ce que je dois aux anciens », 1888

 « Ce n’est que le christianisme, avec son fond de ressentiment contre la vie, qui a fait de la sexualité quelque chose d’impur : il a jeté de la boue sur le commencement, sur la condition première de notre vie. »

8. Friedrich Wilhelm Nietzsche, Par-delà le bien et le mal. Prélude d’une philosophie de l’avenir, paragraphe 168, 1886

« Le christianisme a fait boire du poison à Eros : il n’en est pas mort, mais il est devenu vicieux. »

9. Isabelle Hersant, « Les “Mille sorcières“ des Stanikas et le sexe du “Communiste“ : quand le noir et blanc devient la couleur de l’irreprésentable », La Lettre «R », No. 5 : « Tabous et Interdits », p. 180-189, 2007

10. Michel Onfray, Le souci des plaisirs. Construction d’une érotique solaire, Chapitre « Liquider l’éros nocturne », Editions J’ai Lu, décembre 2009

11. Daniel Pennac, Journal d’un corps, Editions Gallimard, 2012

« Plus on l’analyse, ce corps moderne, plus on l’exhibe, moins il existe. Annulé, à proportion inverse de son exposition. C’est d’un autre corps que j’ai, moi, tenu le journal quotidien ; notre compagnon de route, notre machine à être

12. Hubert Reeves, Joël de Rosnay, Yves Coppens, Dominique Simonnet, La plus belle histoire du monde, Editions du Seuil, Collection Points, avril 1996

Yves Coppens, dans la plus belle histoire du monde, définit l’humanité par l’émotion et par la conscience de la mort « Par l’émotion, sûrement. Mais surtout par la conscience de la mort, qui se situe à un degré de réflexion supérieur. Réaliser que chacun est unique et qu’il ne peut être remplacé, que la disparition d’un être est un drame sans retour, ce serait pour moi l’essentiel de la définition de la conscience réfléchie. Cela englobe évidemment la conscience de soi, des autres, du milieu, du temps également. »

13. Claude Lévi-Strauss, Nature, culture et sociétés, Les Structures élémentaires de la parenté, chapitre I et II, Editions Flammarion, 2008

« L’homme est un être biologique en même temps qu’un individu social. […] C’est que la culture n’est ni simplement juxtaposée, ni simplement superposée à la vie. En un sens, elle se substitue à la vie, en un autre elle l’utilise et la transforme, pour réaliser une synthèse d’un ordre nouveau. »

14. Georges Bataille, « Le gros orteil », extrait du tome I des Œuvres Complètes de Georges Bataille, Editions Gallimard, Fourbis, mai 1988

15. Idem

Complément d'information

Vernissage le jeudi 22 octobre 2015 de 18h à 21h
Exposition du 22 octobre au 28 novembre 2015

Horaires

Mardi - vendredi : 10h-19h Samedi : 11h-19h

Adresse

sobering 87 rue de Turenne 75003 Paris 03 France

Comment s'y rendre

Métro Saint-Sébastien-Froissart
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022